Funèbre commencement

Des pas se firent entendre. Une clameur sourde produite par des pas qui martelaient le sol, sûrement de par le poids de leur propriétaire et de sa précipitation certaine. Soudain, la porte s'ouvrit à la volée.

"Krov, vient vite!" dit un homme de taille moyenne à bout de souffle. Brun, les cheveux en bataille, un regard inquiet et torve; tel était le père de Krov , Lohag. L'inquiétude percevable dans sa voix était redoutable, et d'après Krov, le pire était à envisager.

"Qu'y a t'il?" s'enquérit l'épigone, peu rassuré par la brusque venue et par ses sombres pressentiments.

"Dépêche toi, j'te dis! Pas le temps pour bavarder!" gronda son père, on ne peut plus affolé.

Krov se leva d'un bond de sa chaise et entreprit de suivre la course erratique du petit bonhomme qu'était son père qui le conduisit à travers le village en slalomant entre les petites maisons resserrées qui constituaient leur hameau. C'était un jour ensoleillé, un de ces jours paisibles que ne rien ne semble pouvoir troubler. Père et fils déboulèrent alors sur la place du village, un endroit qui tenait plus d'une clairière pavée que d'une véritable place à proprement parler. Etait réunis en son centre le vieux maître de Krov, quelques aventuriers de passage et le clerc local; tous agenouillés autour d'un homme gisant. Après s'être rapproché d'avantage, le guérisseur frais émoulu de sa formation put constater que cette personne n'était autre qu'un chevalier en armure complète. La plaque protégeant le torse du guerrier avait été trouée en son centre par une large arme contondante, et la plaie sanguinolente où se mêlait la crasse et les organes du mourant ne purent que conforter Krov dans son bref diagnostic : cet homme était condamné d'avance à une mort rapide et douloureuse. La seule option envisageable était l'empoisonnement, une méthode radicale et plus rentable que le gaspillage inutile de potions pour sauver le gisant. D'autant plus que sa mort ne serait qu'encore plus rapide. Respectueusement, Krov s'inclina devant le chevalier, sa tranquillité balayée en coup de vent pour être remplacée par une tristesse morne et solennel. Lentement, il imita le reste de l'attroupement et se mit à genoux tout en se signant et en adressant une brève prière aux dieux qui régissaient son monde troublé et ravagé par la guerre, les épidémies et les déprédations du temps.

"Eh bien, Krov, qu'en dis tu?" lui questionna son maître d'une voix dont il contrôlait difficilement le calme. Certain que le vieil homme avait tiré les mêmes conclusions que lui, il lui adressa un regard tacite que celui ci lui rendit; avant de déclarer haut et fort :

"Je parlerai sans détour et mes paroles ne seront nullement illusoires, mais il me semble Messire, que votre cas est loin d'être encourageant, il est même critique je dirais. Je vous conseillerais de nous donner vos dernières volontés et de prier pour votre âme avant de rejoindre le panthéon de ceux qui sont tombés au combat."

"Arg…arf…ahhhhhh…." Babilla le mourant dans un râle de souffrance, l'incapacitant à s'exprimer d'une manière compréhensible.

"Fichez lui la paix! Ecartez vous il va parler!" cria le clerc. Tous retinrent leur souffle. Allait on enfin recevoir l'explication à cet sinistre et funeste situation?

Funèbre commencement-Suite

"Arg…je ne veux pas mourir…pas avant…arg…" articula l'homme, son état empirant à chaque seconde. Le sang qui s'écoulait de sa plaie coulait en flots torrentueux. La situation dramatique semblait que la seule issue du chevalier était la mort.

"Pas avant quoi? Parlez, Messire!" l'encouragea le clerc.

Le chevalier s'éclaircit la gorge avec difficulté, avant de faire une nouvelle tentative :
"Pas avant d'avoir…arf…retourné ce…collier aux seigneurs de Gol…"dit il dans un dernier râle de souffrance "Le rythme de mon cœur semble s'affaiblir…la chaleur de mon corps semble s'être dérobée…les tambours de la Mort elle même venant me chercher que j'entends rythme les derniers morceaux de ma vie qui…arg…"

"Ca y est" s'exclama le vieux maître de Krov, "Il est mort". Se tournant vers son élève, il déclara : "Ce sera toi qui accomplira son dernier vœu. Va à Gol, c'est une ville avoisinant Sipahan. Fais le pour lui, et pour la paix de son âme tourmentée."
"C'est entendu, Maître. Je le ferais."

Sur ce, Krov quitta les hommes avec une mine patibulaire. Cette mort obscure ne présageait rien de bon. Il retourna lentement chez lui, perdu dans les méandres de ses pensées. Il fit rapidement son paquetage puis s'assey sur son lit, songeur. Tout cela ne lui disait rien de bon, et si lui et village se trouvaient mêlés à quelque sombre affaire, le résultat ne pourrait qu'en être néfaste. Prudence était mère de sûreté mais pourtant cette fois ci sa hiérarchie lui ordonnait de jouer avec le feu…ce paradoxe le troublait fortement et il en était sûrement de même pour le reste du village. Peu après, il dîna en silence avec ses parents. Le repas était copieux quoique les plats étaient simples. "Ce n'était pas en la période estivale que la nourriture n'allaient pas abonder, raison de plus pour en profiter" Se disait toujours Krov. Son repas achevé, il retourna à sa couche se saisit de son sac et se mit en chemin pour la place du village, là où ses supérieurs et les autres villageois l'attendaient, il en était certain car telle était la coutume…

Epigone

"Pas avant…arg…pas avant de…avoir rendu ce…collier aux seigneurs Gol…aaaaaaaaarg" grogna le chevalier dans un dernier râle de souffrance avant d'expirer

"Ca y est, il est mort." Annonça le vieux maître de Krov d'une voix grave. "Krov" reprit il, "va faire ton sac tout de suite, je te charge d'accomplir la dernière volonté de cette pauvre âme tourmentée. Rejoins nous ici dans deux heure, afin de te donner les dernières directives pour ta mission."

"Très bien, maître." Répondit Krov, la boule au ventre.

Il rentra alors chez lui, sans vraiment se soucier du monde environnant, ne cessant de penser à ce qui venait de se passer. Arrivé chez lui, il assembla les maigres possessions qu'il avait; à savoir une lyre. Il n'avait besoin que de ça. Ses talents de guérisseur lui étaient inutiles sans des ingrédients et des potions, et comme il ne possédait ni l'un ni l'autre, il prit simplement tout son argent. Cela représentait une petite fortune; Il l'avait cumulait au fil des années, et la somme était assez grande. Du moins elle lui suffirait largement pour ses débuts. Il se rendit ensuite dans la salle à manger où il dîna en silence avec ses parents. A la fin du repas, son père se leva en même temps que lui, posa une main sur son épaule et lui dit :

"Je ne te demanderai pas de nous revenir le plus vite possible car moi même, dans ma jeunesse, ai accompli des aventures de tout genre et je sais à quel point elles sont palpitantes et ô combien on ne peut s'en défaire. Je te demande simplement de retourner au village un jour, histoire de nous rassurer et de nous conter des exploits et tes faits d'armes. Pour t'assister en ce dernier point, tu seras accompagné de mon compagnon le plus fidèle, que voici." Poursuivit Lohag en extirpant une épée d'un sac. Celle ci avait fait son temps et connu maints ennemis, mais on ne pouvait douter de son tranchant encore redoutable. "Elle m'a accompagné dans ma folle jeunesse, alors que comme toi j'entreprenais aventure sur aventure. A présent, au revoir, mon fils. Puisse tu nous revenir."

"Je le ferai, je vous le promets" jura Krov à ses parents, émus aux larmes.

Puis il sortit dehors et, sans un regard en arrière, se mit en route pour la place du village. Il chemina lentement entre le complexe réseau de bâtiments et déboucha finalement sur la place, qui était vide.

C'est avec stupeur qu'il constata que la place, normalement occupée, était déserte. Il aperçut soudain un rouleau de parchemin par terre qu'il saisit et lu en silence. Celui ci disait : "Avons entamé procédures funéraires. Rejoins nous au cimetière le plus rapidement possible." Krov se remit en chemin en pestant contre les autres et les moustiques assoiffés de sang qui, profitant de l'obscurité croissante, assaillaient le pauvre guérisseur de toute part.

Arrivé au cimetière, il trouva les autres villageois qui l'attendaient.

"Krov, voici le collier des Gol. Le conserver est capital, il doit parvenir à destination et ce le plus rapidement possible. La voie la plus directe sera la meilleure, et chaque détour ne viendra pas sans son lot d'attaques et de bandits qui, malheureusement, infestent notre contrée. Il ne faut pas t'attendre à une rétribution de la part des Gol, même si un salaire sera toujours le bienvenue. Ne refuse pas une éventuelle récompense, t'attirer leur courroux pourrait te coûter bien plus que la mort. Enfin, n'oublie pas de prendre soin de toi et de ne jamais baisser ta vigilance." Déclama d'une voix pressée et solennelle le clerc du village.

"Au revoir, Krov, prend soin de toi." Ajouta son maître.

Emu, Krov ne répondit pas mais exprima par une unique regard à son maître tout ce qu'il aurait tant aimé lui dire. Il se retourna alors et, avec force de coups d'œil derrière lui pour apercevoir une fois de plus tout ce monde qu'il appréciait vraiment. C'est ainsi qu'il marchât une grande partie de la nuit, avant d'établir un petit campement dans des fougères isolées, à l'abri des regards; et malgré sa crainte d'être épier et suivi, Krov s'endormit finalement. Il se réveilla à l'aube le lendemain. Faisant fi de sa fatigue inassouvie, il se remit en route pour les Gol sur un sentier de campagne sinueux et boueux…

Post suivant : ici