[Salta] Errance tardive et incertaine

L'ombre a encore gagné son combat quotidien, les coins s'étendent en ricanant de leur sourire noir, gobent avidement chaque rai de lumière pourpre qui persévèrent sur les hauteurs des murs. Salta mène ses pas vitement dans les venelles grises. Elle avait lu une fois : " le soir, quand toutes les couleurs semblent s'atténuer pour former un ensemble coulé et uniforme, où même les formes s'adoucissent et s'alanguissent en une courbe d'horizon, qui ravale chaque arrête au rang de rondeurs indifférentes. L'heure où plus rien n'attrape le regard. " Elle lève les yeux vers le couloir de ciel que le soir rend profond et qui sinue entre les toiteries dentelées. " Non, décidément, je n'y crois pas... Peut-être était-ce le matin alors… L'aurore ? " Elle s'imagine une aube fraîche sur la crique de ce port qu'elle connaît si bien, et se campe dans le vent salé et piquant, en hauteur sur les falaises de craie, s'accordant avec orgueil une vision d'ensemble de la ville qui se réveille en frissonnant. Satisfaite de l'image, elle se détache de cette pensée.

Elle plonge le regard dans le noir soyeux qui grignote les virages de la venelle, et plus ses pas la portent, plus elle creuse dans son drap épais, jusqu'à discerner les fissures fines qui grimpent comme des lierres sur les murs humides. Elle joue à savourer les étapes de sa percée saccadée, tue sa mauvaise humeur latente à inventorier les moindres détails que la lumière rare lui dissimule. Un résonnement de pas l'arrache avec violence à sa rêverie innocente pour la jeter dans ses talons en un choc sourd. Salta étrécit ses yeux pour tenter cette fois de distinguer avec suspicion et une hargne naissante celui qui s'est permis de la ramener au monde. La nuit est maintenant presque totale, la lune est basse sur l’horizon.

Le frottement de tissus enfle, mais leur propriétaire ne se laisse pas distinguer. Salta se glisse dans une ruelle cochère, contre le mur, et patiente. Une ombre informe, grommelant très bas une flopée de jurons grimpe la venelle pentue, une masse ronde sur le dos. Salta retient son souffle, lèvres pincées. Non, pas de risque. Par provocation, elle sort de l’interstice avant que l’homme n’ait tourné au coin. Un frisson anxieux lorsqu’elle lui tourne le dos, et elle reprend sa marche allongée, mais l’oreille aux aguets et l’œil fixe. Plus elle descend vers le port, el plus la rue est raide. Le bout des doigts sur les murs froids, l’autre tendue vers le bas, elle progresse avec attention. Un grondement de voix. Une taverne, dans une rue perpendiculaire. Sans s’arrêter, Salta la dépasse. Les bruits se multiplient au fur et à mesure que le clapotis du port lui excite l’ouïe. Elle atteint les quais, illuminés par rectangles larges et irréguliers, vomissant chaleur et cris, rires gras et tintements métalliques. Elle tourne la tête, à droite, à gauche. Les pavés humides et sales resplendissent de lumière blanche et glacées. La lune dégouline ses rayons en gouttelettes qui s’écrasent dans les flaques avec un bruit mat. Salta, incertaine, s’avance un peu, le nez pointé alternativement de droite à gauche. Elle hésite. A sa droite, un ivrogne est éjecté de la taverne, il roule dans l’eau, se redresse sur les mains et les genoux, et régurgite allègrement un liquide qui semble joliment coloré. Salta trousse le nez de dégoût. Son inquiétude croît.

Elle allonge un pas hésitant sur la gauche, et puis prend sa décision. Elle longe les bateaux de pêche misérables, qui grincent et choquent les quais, slalome entre les caisses et les tonneaux. Un homme est assis sur le bord d’un bateau. Salta le jauge brièvement et détourne son œil, le sourcil grimpant à l’assaut de son front haut et bombé. Le coin de sa bouche s’abaisse en une moue de dégoût provoquant. Mais l’ombre est avec elle, et compense la solitude. Elle n’accélère pas le pas, mais roidit ses épaules, et passe, sent les yeux du soudards lui brûler la nuque. Son bras gauche se resserre contre son flanc, tâte la gaine de cuir de sa lame, et serre les dents.

Elle s’éloigne avec raideur, sans toujours savoir où ses jambes la mènent. " Ah oui, alors le prix est trop élevé dans la Taverne et tu préfères risquer de finir ta nuit contre un tonneau à sursauter au moindre clapotis ! Bravo hein ! "

Tandis que Salta passe devant une pile de caisses, un grondement étrange attire son attention. Un bruit de mécanique, une sorte de grincement sourd qui semble provenir de derrière une pile de caisses curieusement disposées de manière à ce qu'on ne voie rien...

[tu peux passer ton hemin ou aller voir, au choix ^^ ; si tu décide d'aller voir n'importe quel MDJ pourra te MDJter la suite, c'est plus fun ]

[huhu je n'savais pas comment attirer quelqu'un à RPer avec moua m'ci m'sieur ! j'y cours j'y vole]



Salta tend l'oreille, s'immobilise, le ventre glacé. Un grognement, des grincements métalliques, quelque chose qui bouge, racle les pavés suitant la graisse de poisson et l'eau salée. Salta rentre la tête dans les épaules, la pupille dilatée jusqu'à manger la corolle de l'iris. Elle pivote lentement, sans un souffle, évitant de faire bruisser les tissus de ses jupes. Un peu en arrière, sur sa droite, à un petit mètre de la margelle, un tas de caisses, disposées en un rectangle clos et couvert d'une bâche grise. Et là, béante comme une gueule, une déchirure, un peu trop haute pour l'oeil.

Salta avance, les chaînes se sont tues. Elle fait glisser ses pointes de pieds sur le sol, sans poser le talon, les épaules voûtées par la tension et le souffle silencieux filtrant entre ses lèvres asséchées. Plus qu'un mètre la sépare des caisses de bois, et les agitations reprennent. Dans l'ombre d'une coque de bâteau marchand, Salta croit voir la bâche se soulever un bref instant, par le centre. Elle frissonne, sent ses mains commencer de trembler. Sa peur l'offense, lacère sa fierté de traînées acides. Salta se redresse sèchement, force une détente entre ses omoplates et sur ses traits. Les yeux toujours équarquillés au maximum, elle tente de distinguer les détails de cette espèce de cube de planches, de caisses larges entassées les unes sur les autres. Le silence relatif du bord de mer pèse à nouveau sur sa nuque roide.

Elle s'approche encore, toujours sans bruit, et retient sa respiration. La déchirure lui fait face, à quelques centimètres au-dessus de son front. Elle se dresse sur la pointe des pieds, en vain. Elle retombe lentement sur ses talons, considère avec frustration et durant de longues et dures secondes le poste d'observation qui lui est interdit. Oubliant l'importance de sa terreur, elle tend les doigts, se lève sur les orteils en gestes coulés et tire, du bout des ongles, la bâche à ses yeux. Avec une lenteur extrême, elle fait glisser le trou vers elle, s'arrête à chaque froissement trop fort, sent ses chevilles trembler sous l'effort d'immobilité. Un grincement, elle ferme les yeux et sa gorge se serre violemment. Pas un bruit. Elle n'y croit pas. Elle attend encore, l'air bloqué derrière ses lèvres blanches. "Non. Vraiment rien. " Alors elle se tend à nouveau, et risque un oeil par l'ouverture.

[LL : Je m'en charge ^^]

Un chat. Le coeur explose quand un pelage sombre lui caresse le dessus des doigts. Le cul par terre, le bruit et les chocs. On crie, un poisson se glisse sous ses doigts, et visite hardiment le fond de sa besace. Le chat est parti. Un long rectangle lumineux vient lui fouetter le dos, son oeil ébloui se tourne vers la porte ouverte à la volée. Son coeur se repose enfin, sa respiration ralentit. On crie. Peuh !

Salta se relève lentement, allonge lascivement ses jambes, sa moue hautaine plaquée, gelée sur ses traits. Elle se mesure en aveugle au regard de l'homme, qu'elle ne distingue pas dans l'éblouissement de la lanterne qui pend de son poing. Deux coups de paumes sur ses jupes, et elle repart. Dès l'ombre retrouvée, ses épaules s'affaissent. Ridicule. Elle lève le nez vers les enseignes peintes maladroitement de rouge vif et sanglant. Taverne, poissonnerie, marchand, taverne... Non, non non non ! Elle relève les yeux vers le ciel, sur sa droite. La mer tranquille choit contre la margelle dallée. Salta a soudain l'envie de s'y immerger. Elle allonge le pas. Les griffes de la baie du port meurent lentement, hérissées de rocs, à l'extérieur de la ville.

La nuit commence à peine, Salta se décide à aller dormir dehors.

[suite aux portes de la ville de PP]