Le marchand d’épices

Premier post

Kriss

Le soir tombait déjà sur la cité lorsqu’il sortit. Les rues étaient de plus en plus vides, les boutiques et échoppes fermaient les unes après les autres il devenait difficile de passer inaperçu… Quelques hommes en habits riches marchaient d’un pas pressé ça et là, les enfants s’empressaient de rentrer dans leur maison où ils retrouveraient la chaleur d’un poêle et la douceur d’une mère que Kriss n’avait jamais connu.

Kriss l’avait aperçu dès qu’il sortit du magasin. On l’avait bien renseigné, il venait tous les soirs dans la même boutique d’épices. Il était maintenant dans la rue et marchait d’un pas rapide bien qu’il n’avait pas l’air pressé ni soucieux. Kriss demeura quelques secondes derrière les tonneaux qui lui servaient de cachette. Lorsqu’elle jugea qu’il n’y avait pas de risques qu’il se rende compte qu’elle le suivait, elle se redressa et le suivit à bonne distance.

Il s’appelait Johan Du Foret D’Aiguer, il était riche propriétaire et arnaqueur débutant. Ce jeune homme d’une trentaine d’années n’avait aucune expérience de la vie mais son titre et son héritage faisait de lui un homme respecté. Il n’est donc pas dure d’imaginer comment un être juvénile et puissant a finit par succomber à l’attrait du gain et a préféré l’arnaque à l’immobilier auquel il était destiné.
Cet homme avait emprunté de l’argent qu’il n’avait jamais rendu au maître joaillier qui employait Kriss avant de faire faillite. Elle ne voulait pas faire justice ni rendre l’argent à son ancien patron, elle n’avait que faire d’autrui : ce qu’elle espérait, c’était parvenir à faire chanter l’arnaqueur pour récupérer suffisamment d’argent pour ouvrir une boutique et se mettre à son compte.

Il tourne à un croisement, prend sur sa droite et s’enfonce dans une rue presque déserte. Si il est facilement repérable, Kriss l’est aussi. Elle reste au croisement et le suit du coin de l’œil, il prend une rue sur sa gauche. Elle s’engage alors à son tour à sa suite et prend le même chemin que lui. Lorsqu’elle bifurque à gauche elle se retrouve nez à nez avec lui. Sa surprise est grande mais elle se contient. Elle le regarde dans les yeux et sans un mot, le contourne pour continuer sa route comme si de rien était : il ne l’avait par chance jamais vue. Cet incident n’est pas grave en soit mais il la connaissait maintenant et il faudrait redoubler de prudence.

Elle déboucha sur une artère encore fréquentée et reprit ses repères. Il lui restait à visiter la boutique d’épices pour aujourd’hui.

Second post

Kriss

Kriss revint sur ses pas et retrouva la boutique. Elle était, comme toutes les autres, fermée. Le désespoir noua le ventre de la jeune femme qui se tenait en face de la bâtisse. Des rayons de lumière s’échappaient encore des jalousies. S’il y avait du monde, elle ne pourrait entrer par effraction.
La déception qu’elle éprouvait de s’être fait avoir aussi bêtement dans la soirée la faisait rager et il fallait qu’elle découvre quelque chose ce soir. Le plus sage aurait été d’aller se coucher et d’attendre le lendemain matin mais ce n’est pas la sagesse qui anime Kriss, c’est le désir. Son désir actuel était de rattraper sa faute et de coincer le prétentieux Johan Du Foret D’Aiguer qui croyait pouvoir voler sans courir le moindre risque.

Kriss s’assit sur un des tonneaux derrière lesquels elle s’était cachée un peu plus tôt et attendit. La nuit finit de tomber et le silence devenait pesant. Personne dans la rue, personne dans le petit bistrot qui restait cependant ouvert, personne sauf dans le magasin où la lumière brillait encore.
Cela faisait plus de vingt minutes qu’elle attendait, vingt minutes interminables durant lesquelles elle eu le temps de s’imaginer quantité de scenarios sur ce qui se passait à l’intérieur. Elle ne put en retenir aucun tant ils étaient aberrants. Il lui fallait agir à l’instant. Elle se redressa et après avoir consciencieusement repassé de la main les plis inexistants de sa tenue de soie, elle avança vers la porte et entreprit dans un premier temps d’écouter des bruits inaudibles.
Elle secoua sa tête d’avant en arrière pour faire craquer sa nuque engourdie. Il lui fallait trouver un moyen de pénétrer dans la bâtisse. Par derrière ? Pourquoi ne pas y avoir pensé avant ! La maison est mitoyenne sur ses deux côtés et sur l’arrière aussi d’ailleurs… Fatigue. Désespoir.

Kriss se laissa tomber sur la marche face à la porte et s’adossa sur cette dernière. L’énergie l’avait quitté. Cette force qui l’habitait de coutume et lui disait de persévérer ne lui était plus d’aucun secours maintenant qu’elle en avait besoin. Elle était vidé. Mais pourquoi ? Pressentiment ? Elle n’y avait jamais cru mais cette explication comblait un vide envahissant. Il s’avéra que ce mauvais présage se révéla pertinent car quelques secondes seulement après s’être laissé aller à cet élan de nostalgie, la porte qu’elle avait si longtemps fixé s’ouvrit et elle tomba à la renverse à l’intérieur de la pièce sous les yeux écarquillés de deux vieux hommes.

Aucun mot ne vint à l’esprit de Kriss qui renonça à en chercher et resta muette dans sa posture, le regard froid et le visage sévère. Une masse se pencha sur elle et une pression importante, un choc ?, sur l’arrière de son crâne lui fit perdre connaissance.