Sortie nocturne

[précédemment : Les Quais de Port-Pergas " Errance incertaine "]




Une heure pour s'extraire des ruelles noires. Elle contourne les coins et les sinueux bas-fonds, emprunte les grandes rues dallées et blanches de lune, l'oeil accroché au loin et l'oreille tendue.

Elle atteint les portes. Closes. Elle gronde. La nuit dans les forêts est trop douce. Qui sont ces soudards pour m'empêcher d'en jouir ? Ses dents grincent, elle s'approche de l'immense entrée. Un garde. Quelques palabres, l'irritation qui enfle d'un coup et quelques sifflements ulcérés qui pointent le soldat à la poitrine. Une petite porte de bois épais s'entr'ouvre, Salta s'y glisse vivement, et les gonds grincent sèchement dans son dos.

Elle inspire, encore pleine de tension de sa victoire caractérielle. L'air humide et salé clapote contre sa gorge et se glisse dans sa poitrine. Elle le savoure avec délice. Le couvert des arbres l'appelle en silence, lui fait signe de son ombre verte et mouvante. Une rafale douce, courant du large, apporte avec elle le soleil écrasant des journées en mer, l'odeur de la peau qui rougit et de la sueur qui s'écrase sur le pont encroûté de cristaux de sel. Salta les rejoint, l'oeil étincelant d'euphorie simple et primitive. Elle se glisse sous leurs branches et contre leurs troncs, s'adosse à un chêne, ferme les yeux un instant. Un éclat blanc lui frappe la paupière, elle la déscelle, et la mer lui fait de l'oeil. Salta se détache de l'arbre et se glisse en souplesse jusqu'au bord de l'eau.

Ses vieux botillons sont bien vite rejetés par des talons empressés. Les orteils chatouillés par les rides d'écume fade qui ondulent sur les roches plates, les épaules nues offertes, le jupons qui claque, Salta regarde de tous ses sens la nuit sur la mer. L'air est lourd, et se fige dès qu'une bourrasque a fait son chemin, l'odeur est chaude et le sel s'incruste sur la peau dans un fourmillement grisant et tendre. Salta laisse le vent s'engouffrer dans sa gorge comme une noyée qui revoit le ciel une dernière fois, et, les pommettes rosies, l'émail des dents renvoyant faiblement les rayons solennels de la lune presque ronde, elle se fond dans le paysage, le sang parcouru d'ondes d'euphorie tranquille.

Le matin. Vautrée lascivement entre trois immenses et torturées racines, Salta ouvre un oeil. Un frisson. Le soleil est derrière la colline qui surélève délicatement sa tête. Elle roule sur le dos, heurte un roc et se redresse vivement, une grimace irritée sur les lèvres. D'un geste brusque elle attrape le coupable et le lance violemment dans l'eau. La mer lui fait face, et les lèvres de Salta s'entrouvrent, béates. Avec le matin humide, dont elle ressent la morsure sur chaque parcelle de peau, des couleurs invraisemblables jaillissent de son dos.

Des jets puissants, droits et doux, ténus, vaporeux, se noient dans la mer avec une joie enfantine. Absorbés par le sel, ondoyant sur les crêtes fines d'écume mousseuse, ils lui donnent un aspect profond, in fini sous une surface étincelante, bleue et rose, mauve vers le centre, verte près des côtes. Il semble à Salta qu'un pied dans cette eau en sortirait aussi coloré que l'arc-en-ciel, sans plus de consistance, juste fait de lumière dorée et de couleurs.

Un craquement, un pas, un souffle. Salta frémit, furieuse. L'anxiété bien connue la reprend avec violence, lui étreint la poitrine en une fraction de seconde et enflamme son brasier de rage frustrée comme une étincelle dans des feuilles mortes. Elle se retourne d'un bloc, et fouille les fourrés d'un oeil acéré, furibond. Sa contemplation tranquille, féérique, est interrompue à son apothéose par une présence, humaine qui plus est. Et cette personne n'en sera jamais pardonnée ! Son coeur s'envole, brutal, cognant à briser ses côtes courbes et resserées. Elle s'est ramassée, le cou dans les épaules, les omoplates crispés à se toucher, les jambes arquées de tension nerveuse. Attentive, elle entend, croit même apercevoir des mouvements dans l'ombre agonisante, progresser l'indésirable.

Elle siffle, sans voix, raclant le fond de sa gorge par sa hargne haineuse : " Pourceau ! " Inaudible, presque même par elle. " Pourceau ! " Elle souffle par le nez, en silence, et attend.

[Résumé : quelqu'un approche, qui ? quoi ? pourquoi ?]
[ Eliz : Un voleur approche, il veut te détrousser ]

[HRP : Bon, le PC, c'est mauvais pour mon équilibre psychique. J'vais donc vous délaisser pour le mois à venir, puisque mon Bac (et mieux encore) est à la clef... Voilou, je vous préviens ici, j'ai pas vraiment cherché un meilleur endroit, mais bon, m'en veuillez pas je suis toute retournée
A dans un mois et quelques ! /HRP]
[LL : Vivement ton retour ^^]

[arf n'ai craqué. entre un commentaire philosophique et des révisions de TP de chimie, j'intercale un passage loisir inventif, permettez, j'me fais plaiz ]


Une épaule tranche sur le vert profond, aggripée à un tronc veiné de clair entre sa rude écorce. Salta gronde, hérissée comme un chat. Un éclat, puis un autre. Un oeil et une lame grise ont heurté un rayon matinal réverbéré sur la surface de la mer. Démasqué. L'homme sort de l'ombre : le visage fin, racé, percé de deux billes noires en amandes, et plissé d'un sourire crémeux et large. Les pouces dans le ceinturon, des bottins jusqu'aux mollets, une chaînette métallique qui tressaute autour d'un cou orgueilleux. Il approche :

" Ben hé, donzelle ! L'est bien tôt pour faire trempette ! "

Salta rentre le menton.

" Mais elle paraît tell'ment bonne que je crains d'pas résister à t'y envoyer patauger ! "

Le rire gras, classique, prévisible, qui secoue la chaîne de l'homme et dévoile son fond de gorge. Il descend la pente terreuse jusqu'à poser ses semelles sur le premier roc déchiqueté. Là il s'arrête, en hauteur, la surplombe de son oeil inquisiteur, et crûment, la dénude du regard. Salta croise les bras, dissimulant sa gorge. Une dizaine de mètres d'air, de rochers et d'une petite langue de mer qui lèche des algues brunes s'interposent entre eux.

" J'm'y jetterai bien pour tes beaux yeux et quelque monnaie ma belle. "
Voie douceureuse, vulgaire et souriante. A prévoir, encore et toujours.

Salta siffle avec mépris.
" Z'êtes tous tell'ment les même que tes répliques je pourrais les avoir dites à ta place. Prévisible jusqu'au crachat de dégoût dès que j't'aurai battu au jeu des mots, et puis tu sortiras ton couteau, et tu te jetteras sur moi en m'traitant de tous les noms d'putains que t'auras pu visiter ! "

Elle renifle de dégoût, se campe sur ses deux pieds et l'incendie des yeux de sous ses sourcils froncés. Il la considère une seconde, perplexe. Et puis l'éternel sourire graveleux revient lui abêtir les traits.

" J'aime pas les donzelles qu'ont d'l'esprit. Ca donn' mauvais goût en bouche... "

" Tu m'en vois ravie, j'comptais pas t'y faire voir ! "

Rire fin.

" Parfait 'dmoiselle. Jette tes écus jaunes d'ici, j'te touch' pas, j'te blesse pas. "

Salta renâcle, mais ne répond pas tout de suite. Le combat, pour sûr, j'y perds. Mais non, j'ai trop d'écus pour les y refiler... La fuite ? Elle retient de glisser un oeil vers la lisière : il aurait tout de suite compris. Elle baisse les yeux, réfléchissant profondément. La fuite, peut-être, ou bien j'continue à lui raconter des salades, et qui sait ce qu'y en sortirait ? Un bref jet de regard vers lui, il s'est accroupi sur son roc, les mains pendant entre les genoux et les coudes sur les cuisses. Il patiente, sans la lâcher de l'oeil.

" Tu vois mon problème hein ? 'Pas vraiment envie de t'alourdir pour crever la faim. 'Pas soupé dans la soirée d'hier, et pas encore avalé quoiqu'ce soit ! " les deux mains viennent s'emboîter sur ses hanches. " Qu'est-c'tu f'rais à ma place. "

Il sourit.
" Je me f'rai inviter à manger un morceau beauté ! J'suis généreux, j't'offre le pain, si toi ta bourse ! "

Salta secoue la tête.
" Je m'laisse pas comme ça ! Tu m'laisses filer, si j'te recroises, j't'offre à boire, mais laisse filer ! "

Il glousse, puis sérieux :

" Nan donzelle, 'pas une option, trouve aut'chose. "

Il change de position. Docilement, elle se replonge dans ses sourcils froissés. Allez allez, sors-toi de là.

" La moitié, ça t'vas ? Et tu m'dépouilles pas... "

Il la regarde, puis, sans même déplier les jambes, saute au bas de son perchoir. Un pas, deux pas. Salta s'oblige à l'immobilité. Il la toise de bas en haut, s'arrête aux yeux, redescend aux lèvres, et sourit encore, mais froidement. Lui aussi y réfléchit. Laisse lui le temps. Salta ne bouge pas, équarquille les yeux insensiblement d'un air attentif. Elle attend.

[ Quelle est sa réponse ? Comment réagit-il ? ]
[ Eliz : Il accepte, mais veut en profiter pour te peloter ]

Il détache ses doigts du contour de ses lèvres et annonce finement :

" Ben d'moiselle, j'accepte. "

Et le voilà qui s'avance, l'air entendu et honnête, séduit par mon intelligence, la paume au ciel tendue devant lui. Salta détache sa bourse, la soupèse, y plonge une main et la ressort hérissée de pièces jaunes. Vivement, elle resserre le lacet de la petite sacoche et la pend à nouveau bien court à sa ceinture.
Il est maintenant à deux enjambées d'elle, elle lui tend sèchement le bras, et laisse couler quelques écus dans la paume qui quémande. Il la referme avidement, sort sa poche, l'ouvre sous Salta, et elle déverse ses 50 écus, une expression figée au visage.

" Ah... C'est bien ça. Et c'était que la moitié, j'regrette presque d'pas aimer l'esprit... "

Il louche sur Salta, qui se tend immédiatement sur la défensive, et ses coins de bouche s'affaissent. " Salaud " siffle-t-elle en bondissant en arrière alors qu'un bras vif lui accroche maladroitement la taille. Elle tourne les talons et se jette en avant, dégringole vers la mer, puis bifurque brusquement sur la gauche pour remonter le tertre friable qui mène en une courte mais raide pente aux premiers arbres. Il lui saisit l'épaule au moment où elle pose le pied sur la terre, et elle dérape puis s'effondre les deux mains en avant. Il est sur elle.

Panique, panique puis fureur. Elle s'enflamme et se consume avec une violence qu'elle se connaît déjà. Elle ne réfléchit plus même, elle n'est plus que brasier dément, se contorsionne de tous sens, le nez dans la poussière, s'agite et siffle comme un reptile sous la poigne pas encore assurée de l'agresseur. Il commence à prendre pied, et donc, avec l'aise, à proférer insultes et menaces. Il parvient même à lui saisir un bras et le lui plaquer durement dans le dos. Une idée. L'orgueil de surprendre, par sa capacité à souffrir, à trouver une solution désespérée, douloureuse, pour mieux s'extraire de la situation, couplée à une réelle et rugissante envie de se ruer de toute sa vitesse à travers les taillis la mène à un geste d'une violence à faire grincer des dents :
un bras maintenu très haut dans le dos, elle prend appui avec l'autre sur le sol rocailleux, et roule de côté, entend claquer son épaule toujours maintenue en arrière par le voleur et sur laquelle elle s'étend, avant de lui asséner de tout son élan la tranche de sa main sur le cou. Un gémissement furibond lui a déchiré la poitrine, mais il relâche sa prise sur le bras maintenant blessé, pour monter ses deux mains à sa gorge. Elle respire mieux.

Il hoquète, reprend un mauvais souffle. Le coup de Salta était violent, mais pas suffisemment précis, et il lui écrase son poing sur la pomette. Salta la sent éclater, et une seconde plus tard, elle frissonne et se liquéfie littéralement sous les mains de l'homme. Elle glisse irrésistiblement vers le haut de la pente au pied de laquelle sa tête un instant auparavant reposait. Un nouveau frisson, et elle se sent se dresser, campée sur ses deux jambes, les bras ballants, un mètre cinquante en surplomb du voleur. Son épaule relâchée la fait étouffer un cri, et il lève le menton. Elle saisit son coude et s'enfuit dans les fourrés.

Elle saute, bifurque, se coule, s'esquive entre arbres et rochers blancs ou moussus. Les dents serrées, elle voit mille et unes étoiles qui convergent vers le centre. Et puis elle se roule en boule, des larmes de tension et de douleur lui rigolent en silence sur les joues, se mêlent au sang qui sourd de sa pommette, nichée entre deux buissons épais. Elle n'entend rien. Il n'a pas dû la poursuivre. Elle reste immobile ce qui lui semble un long moment, la main crispée sur son bras blessé, mais quand on a peur et qu'on écoute, le temps s'égrène toujours au ralenti. Et puis lentement, apaisée, elle se déplie, et se lève.

Elle entame alors la redescente vers la ville, dont elle aperçoit les fumerolles moroses par des trouées des feuillages, penaude et encore à vif, le visage déchiré et la bourse de moitié désenflée.

[MDJ's powa : j'ai perdu 50 écus. Le voleur m'a-t-il suivie ?]
[ Eliz : Or retiré. Il ne te suit pas ]

Post n°8
Salta

La mine défaite, elle rejoint la route jaune. Un sursaut de hargne orgueilleuse lui soulève la poitrine et remonte brusquement ses traits. Ses sourcils se cabrent, fins et hauts sur le front, les coins des lèvres se courbent de dédain, et ses reins cambrés lui allongent les jambes.

Elle aborde la porte, ouverte en grand pour les quelques marchands qui n'ont toujours pas pénétré l'enceinte. Elle franchit l'entrée l'oeil braqué sur la mer qui scintille mollement au devant des toits ébouriffés des maisons. Elle a faim, et sa joue tuméfiée attire quelques regards. De même, chaque heurt de talon sur les dalles allume une étincelle dans le derrière de son épaule meurtrie. Luxation... Salaud ! Elle assouplit sa marche, évite les secousses, se fait plus féline, plus cambrée, en retire un orgueil d'autant plus fort que les yeux qui se posent sur son échymose se perdent ensuite entre les plis de ses jupes. Elle glisse en oeil vers elles et un coup atroce vient ébrécher son amour-propre. Non, ils ne cherchent pas à fouiller sous le jupon, ils additionnent les traces ! Ses petites broderies oranges son déchirées, des trous minces viennent piqueter la frise sobre d'ignobles témoins d'une nuit en forêt, d'une vie de va-nu-pied, de coureuse des bois mal lavée ! Une honte explose avec rage sous ses yeux étincelants. Une maison, un hotel, n'importe où... Quelque part. Me cacher... me changer, m'habiller ... !!

Elle fouaille de ses petites prunelles chaque échope, dans l'espoir de croiser des traits connus. Mais non. Recherche futile. 50 écus... Aaah mais le salaud ! Elle commence à tourner, errer, souffrant atrocement à chaque coup d'oeil double à son visage puis à son jupon, elle grince des dents, en oublie presque sa blessure à l'épaule. Mais 50 écus... Elle n'ira pas loin... Une chambre, un jupon, une chemise, un bain... Vraiment pas loin. Elle s'immobilise à un carrefour. Son désir furieux de paraître admirable et désirable qui la torture comme une flamme se retourne sèchement sur sa raison, qui clame le besoin prochain de manger et dormir. Elle frissonne. Cette panique insondable qui la prend la fait vite trembler, rallume l'étincelle de l'épaule et rend finalement très parfaitement abyssal le gouffre de terreur qui lui dévide la poitrine.

Suffocation de panique, coups d'ailes brutaux contre l'envers des côtes, le coeur qui rate ses battements. Ses pupilles se sont dilatées et son menton ébauche quelques tremblements convulsifs. Elle tourne la tête de tous les côtés, ils ne s'accrochent à rien, et le tournoiement s'accentue derrière son front. Salta plaque ses mains sur ses épaules, bras croisés sur la poitrine, pour contenir ses débordements de violence paniquée, et se laisse lentement glisser le long de ses jambes et se ratatiner sur ses talons. Recroquevillée, au milieu de la petite place, elle presse son front sur ses genoux, et respire. Souffle, souffle, tranquillement. Allez tais-toi, tais-toi. Mais aucun encouragement ne la ramène, et elle se secoue brutalement comme sous un spasme. La pression de ses yeux s'évacue en larmes lourdes et brèves, qu'elle chasse en papillonnant furieusement. Un reniflement. Elle se déplie alors avec lenteur, les mollets faibles, et rétablit son équilibre en même temps que son vertige. Elle secoue la tête. La Taverne. Tant pis pour les sous. On verra. Va te calmer.

Inspiration mal-assurée, et Salta pivote sur ses talons pour s'enfoncer dans une rue large.

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